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  • Accident grave à Fresnes (ou la miraculée)

Dans les années 55-56 (nouveau flash-back !) jeune brigadier à sceaux. J’habitais à Boulogne et je venais d’emménager à Fresnes, avenue de la république, face à l’entrée principale des prisons, dans des immeubles neufs de construction type “Phenix”, c’est-à-dire des matériaux légers. A l’exception de quelques voisins, je ne connaissais personne.

Je suis intervenu dans un très grave accident de circulation, dans des circonstances particulières où, normalement, à part mon témoignage personnel, rien ne me concernait professionnellement, je n’étais pas en service. Les circonstances en ont décidé autrement. Pour être réellement témoin d’un accident ou d’un fait quelconque susceptible de suites judiciaires, il faut avoir, non seulement vu et entendu, mais aussi prévu, ne serait-ce que de quelques secondes, ce
qui va se produire.

Je me suis trouvé dans ce cas. Voyageur dans l’autobus de la ligne 187 (Porte d’orléans - mairie de Fresnes), avec ma famille, je vois monter une de nos nouvelles voisines et je m’apprête à lui dire “bonjour” lorsqu’elle passe devant moi sans me voir. Ne voulait-elle pas répondre à mon amabilité ou ne m’avait-elle pas reconnu ?
Assise quelques places devant moi, je la fixe de temps en temps sans qu’il y ait une réaction de sa part. J’étais perplexe et de moins en moins sûr de mes qualités physionomistes. A la station “Liberté”, cocassement située juste à la porte des prisons, nous descendons ; elle aussi et se dirige vers l’avenue de la république, comme nous. Pas de doute, c’est bien notre voisine, elle ne nous a pas reconnus. J’en étais là de mes réflexions, lorsque je vois et j’entends arriver une “Prairie” (lourde voiture renault, moderne à l’époque) à très vive allure (j’aurai, plus tard, la possibilité de préciser, à coup sûr ou presque : au-delà de soixante-dix kilomètres à l’heure), venant de la Croix-de-Berny sur la 186 et se dirigeant vers Choisy-le-roi. La voisine, dix à quinze mètres devant moi, avait traversé le passage piétons à demi-chaussée lorsqu’elle comprit, comme moi, que l’automobiliste ne ralentissait pas. Prise de panique, elle quitte le passage clouté et s’élargit vers sa gauche dans un réflexe instinctif… et fut percutée par l’automobile lancée à pleine vitesse.

Elle fut projetée à trente-cinq mètres plus loin après s’être élevée à plus d’un mètre quatre-vingts. J’ai pris ces mesures depuis le point de choc jusqu’au point de chute avec un mètre pliant que je suis allé chercher à mon nouveau domicile voisin. En ce qui concerne la hauteur, je l’ai vue passer au-dessus d’un poteau de signalisation routière haut de un mètre quatre-vingts, situé sur le trottoir. Voilà pour le témoignage que je me promettais de faire à mes collègues. Mais où étaient donc les deux gardiens de permanence au petit poste des prisons voisines ? Aller voir sur place, c’était abandonner l’auteur de l’accident et courir le risque de lui laisser prendre la fuite. Je lui demandai donc ses papiers et me dirigeai vers le poste, surtout pour téléphoner et demander la police-secours.

ils étaient bien là… mais “bourrés” et se cachaient pour ne pas intervenir. ils m’indiquèrent tout de même le téléphone du commissariat de Choisy-le-roi. C’était encore l’époque où l’on envoyait les ambulances municipales (voir plus haut). Je fus avisé qu’il fallait attendre. J’eus beau tempêter, la blessée resta sans soins sur le sol une demi-heure au moins avant l’arrivée de l’ambulance de Choisy ! et moi de me faire engueuler par les curieux attirés sur les lieux, qui trouvaient le temps long, à juste titre d’ailleurs.

Le chauffeur du bus, en démarrant de son arrêt, a stoppé son véhicule au milieu du carrefour pour apostropher vigoureusement l’auteur de l’accident, ce qui prouve qu’il y avait au moins deux témoins. L’ambulance ayant fini par arriver et charger la blessée, j’attendais toujours le car police-secours pour conduire l’automobiliste au commissariat de Choisy, comme c’est la règle. Parlons-en de ce conducteur : Il voulait regagner son domicile, mais j’avais ses papiers. Il prétendait que sa victime sortait des prisons, c’est-à-dire se trouvait en plein milieu du carrefour et avait tenté de passer devant lui. Pendant l’attente, un automobiliste s’est présenté et m’a déclaré qu’il roulait lui-même à soixante-dix kilomètres à l’heure alors qu’il venait d’être dépassé par la “Prairie”. sur le capot de la voiture, l’empreinte d’une silhouette. Naturellement aucune trace de freinage.

J’avais tous les éléments pour mon rapport. Je ne me faisais aucune illusion sur les chances de survie de ma voisine. Je relevai les infractions : non ralentissement à un carrefour, vitesse excessive et dangereuse, priorité du piéton non cédée sur un passage clouté et enfin, le plus grave : blessures involontaires par inobservation des règlements. Enfin, arrivée de la police-secours. Affaire commencée vers vingt-deux heures. Mes collègues de Choisy me ramenaient chez moi vers cinq heures… et je n’étais pas de service ce jour-là. evidemment, je sentais bien que j’avais peut-être mis mon nez dans une affaire qui n’était pas tout à fait de ma compétence et je m’attendais à un retour de manivelle. Ça n’a pas tardé ! Peut-être huit jours plus tard, j’étais convoqué au bureau du commissaire de Choisy. inutile de me préciser les motifs de cette convocation.

Le commissaire Martha, assisté du commandant Pointro, me reçurent très aimablement. ils ne me cachèrent pas leur étonnement mais confirmèrent la régularité des mesures prises. Je sentais bien qu’ils avaient pris des renseignements chez leurs collègues de sceaux et que le but de leur audition consistait surtout à s’assurer de mes rapports avec l’alcoolisme, le conducteur ayant fait des allusions à ce sujet.

Ils furent convaincus que ces accusations concernaient les gardiens de Choisy en permanence au poste des prisons ce soir-là. J’appris également que la victime, infirmière aux prisons de Fresnes, aurait très bien pu, comme l’avait prétendu le conducteur, sortir de l’établissement pénitenciaire. D’autre part, j’avais retrouvé ma voisine en parfaite santé… révélation de mon physionomisme minable !!

Presque deux ans plus tard, chef de poste à sceaux, je vois entrer une femme, appuyée sur des béquilles et soutenue par son mari. C’était ma miraculée qui venait me remercier. elle était restée longtemps dans le coma et était handicapée à vie, mais vivante. elle m’a déclaré ne se souvenir de rien. C’est son mari qui m’a dit qu’elle était bien dans le 187, revenant d’une visite chez une parente et n’avait pas travaillé
à l’infirmerie de Fresnes ce jour-là. Leur avocat n’avait eu aucune peine à obtenir toutes les indemnités et le chauffard fut sérieusement condamné.

Au cours de ma carrière, j’ai eu souvent à intervenir pour des accidents, mais toujours en service, jamais dans ces conditions. Presque à chaque fois, j’étais ultérieurement convoqué, le plus souvent à une commission d’expertise tenue sur les lieux même de l’accident, soit plus rarement à l’audience de la correctionnelle. Pour cette affaire, je m’attendais à une convocation et j’avais les réponses aux attaques de la défense. Je ne fus pas convoqué… les faits devaient être indiscutables, probablement.

Plus tard encore, le hasard me mit en présence d’une jeune recrue gardien de la paix, proche parent du conducteur mis en cause, cousin ou neveu, peu importe le degré de parenté, qui était au courant de cet accident. il me confia que son parent racontait dans la famille qu’il avait été victime d’un brigadier alcoolo, apparemment ignorant que le règlement de son affaire lui aurait été plus favorable s’il avait eu affaire aux poivrots du petit poste de la prison de Fresnes !

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